Des prisonniers de guerre à Sorel au début du 18e siècle

The Return from Deerfield (1897), de l'artiste américain Howard Pyle (1853-1911), illustrant Eunice, la femme de John Williams, aux pieds de Jean-Baptiste Hertel de Rouville, le commandant de l'expédition franco-amérindienne. Source : http://howardpyle.blogspot.ca/2010/11/return-from-deerfield.html

The Return from Deerfield (1897), de l’artiste américain Howard Pyle, illustrant Eunice, la femme de John Williams, aux pieds de Jean-Baptiste Hertel de Rouville, le commandant de l’expédition franco-amérindienne.
Source : http://howardpyle.blogspot.ca/2010/11/return-from-deerfield.html

La Grande Paix de Montréal de 1701, signée entre les Français et les Iroquois, établit une paix durable dans la vallée du Saint-Laurent et, en conséquence, pour le petit bourg de Sorel, jusqu’à la décennie 1750. Les Iroquois avaient été jusque-là des adversaires efficaces. Leur activité avait forcé les autorités françaises à ériger les forts de 1642 et de 1665, tout en menant à l’abandon du premier. Leurs attaques au cours des années 1680 et 1690 avaient aussi été particulièrement dures pour le développement de Sorel. Mais si à partir de 1701 les Iroquois ne remontent plus la rivière Richelieu, les Abénaquis, les alliés des Français continuent de la descendre pour s’attaquer aux colonies anglaises. Pour bien cimenter leur alliance, les autorités coloniales envoient des soldats et des volontaires avec eux, comme le rappellent les historiens Peter Gossage et Jack Irvine Little :

Au cours des années 1690 également, les Français s’assurèrent l’alliance indéfectible des Abénaquis en envoyant des militaires de carrière et des volontaires canadiens accompagner ces Amérindiens dans des incursions contre des fermes et des hameaux du nord des colonies britanniques. Ils répandaient la terreur, mettant le feu aux bâtiments, tuant un grand nombre d’habitants et emmenant plusieurs captifs vers le nord où ils étaient torturés à mort, échangés contre rançon ou adoptés[1].

De 1702 à 1713, la guerre de la Succession d’Espagne Lire la suite

Des esclaves à Sorel?

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« La seule différence entre l’esclave et la vache, c’est que le Panis [esclave amérindien] vaut cinq fois la vache[1]».

Voilà comment l’historien Marcel Trudel décrit la situation de l’esclave québécois du XVIe au XVIIIe siècle. Les mots sont durs, mais un esclave n’était effectivement rien d’autre qu’un bien meuble devant la loi[2]. Peu ancré dans notre mémoire collective – possiblement parce qu’il ne s’est jamais institutionnalisé comme chez nos voisins américains –, l’esclavage fait pourtant partie de l’histoire du Québec. Lire la suite

Georges-Isidore Barthe : premier journaliste de Sorel

Georges-Isidore Barthe. Source : Bibliothèque et Archives Canada/Mikan 3214745

Georges-Isidore Barthe. Source : Bibliothèque et Archives Canada/Mikan 3214745

Le premier journaliste de Sorel avait une plume qui ne manquait pas de verve! Georges-Isidore Barthe (1834-1900) a coloré l’actualité régionale pendant un quart de siècle, autant comme journaliste, citoyen impliqué et politicien. Selon le Dictionnaire biographique du Canada (DBC), il a été l’un des meilleurs journalistes du Bas-Canada du XIXe siècle.

Avocat de formation, il se lance dans le journalisme, en 1856, en participant à la fondation de l’indépendantiste Le Bas-Canada. Cette aventure tourne court, alors que le grand incendie de Trois-Rivières de 1856 détruit ses presses. Notre homme ne se laisse pas abattre et transporte plutôt ses pénates à William Henry pour y fonder le premier journal sorelois : La Gazette de Sorel. En plus de ces deux titres, il lancera le Sorel Pilot (1868–1877) – le penchant anglophone de la Gazette –, l’Ère nouvelle (1884–1885), le New Era (1885), l’Indépendance canadienne (1894–1896) et le Canadian Democrat (1895). Notons aussi qu’en 1874, il met la main sur Le Richelieu, propriété de son rival politique Michel Mathieu, mais il ne le produit jamais.

Gazette

Pour cet homme originaire de Restigouche, le journalisme ne tient rien de moins que du sacerdoce. À ses yeux, un journal doit faire plus qu’informer, il doit aussi éduquer[1]. Si sa publication précédente se voulait indépendantiste, le nationalisme de Barthe ne va plus aussi loin lorsqu’il débarque à Sorel. Cet extrait, tiré de la Gazette du 18 août 1869, décrit sa pensée politique de ses années soreloises, alors qu’il dit être « attaché avant tout à la conservation de nos institutions, de notre langue et de nos lois [2]». Le premier numéro de la Gazette de Sorel, lancé le 13 août 1857, indique clairement la priorité que constitue à ses yeux le développement de Sorel, alors qu’elle devient véritablement la ville-centre du comté de Richelieu : « Et qu’on ne nous reproche pas de viser de suite à la réalisation de trop grandes choses, car dans ce siècle où tout marche à la vapeur, Sorel et le District de Richelieu ne veulent pas rester en arrière et comme étrangers au progrès général ».

Étant donné sa vision du journalisme, du nationalisme et du développement de sa localité, il était inévitable que Barthe se lance en politique. De 1867 à 1876, il occupe le siège du maire de Sorel; de 1870 à 1872 et de 1874 à 1878, il représente le comté de Richelieu à la Chambre des Communes. Il est défait en 1872, 1878 et 1882. Ses défaites électorales et ce qu’il considère comme un manque de vision de ses concitoyens, le poussent, en 1880, à vendre La Gazette de Sorel : « M. Barthe, fondateur et rédacteur de La Gazette de Sorel, vient d’annoncer que, dégouté par la vénalité des hommes publics et l’absence complète de moralité et d’opinion publique, sacrifié par ses amis dans la contestation de l’élection de Richelieu, il se retire de la vie militante du journalisme pour se consacrer exclusivement à sa profession » (L’Opinion publique, 8 janvier 1880). En effet, le nom de Barthe disparaît de l’en-tête de la Gazette peu de temps après, alors qu’il la vend à d’autres intérêts. Jusqu’à maintenant, l’historiographie indiquait qu’il s’agissait du point final de cette aventure. Cependant, quelques lignes du journal Le Sorelois du 26 janvier 1883 nous apprennent que le shérif du district a vendu les propriétés soreloises de Barthe, dont la Gazette. Alors que ce journal ne semble pas publier de novembre 1881 à décembre 1882, Barthe en serait donc redevenu propriétaire durant cette période. Malgré cette vente, la mention « G.-I. Barthe » réapparaît sur l’en-tête de la Gazette, mais uniquement qu’en tant que rédacteur en chef. Elle y reste jusqu’au 6 mars 1883, après quoi on peut présumer que le journal cesse ses opérations. Puisque le DBC note qu’il retourne à Trois-Rivières, en 1882, il y a donc encore quelques mystères à éclaircir sur les dernières années de Barthe à Sorel. Au vu de ce parcours remarquable, espérons qu’un jour l’on puisse compter sur une véritable biographie du premier journaliste sorelois, qui nous en dirait long sur l’évolution culturelle et politique de la région de Sorel-Tracy.

Pour en découvrir davantage sur la Gazette de Sorel, voir : Sorel et Tracy, un fleuve, une rivière, une histoire, Société historique Pierre-de-Saurel, 2014, p. 228-232; 288-294.

*Texte publié à l’origine dans le Sorel-Tracy Express, le 11 décembre 2012. Il a été modifié pour cette publication et des informations importantes ont été ajoutées.

[1] Ibid.; André Beaulieu et Jean Hamelin, La presse québécoise des origines à nos jours, T. 1, 1764-1859, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1973, p. 208.

[2] Ibid.

DANS LA MÊME VEINE :

« Les candidats indépendants »

« Émeute à Sorel! »

« Le prospectus de la Gazette de Sorel, 13 août 1857 »

« L’épidémie de 1874 »

 

Un premier ministre du Québec aux racines soreloises : sir Lomer Gouin (1861-1929)

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Lomer Gouin, s. d. Source : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3191941

Le nom de Lomer Gouin est quelque peu revenu dans l’actualité, au cours des dernières années. En effet, il est parfois associé au Plan Nord[1], car c’est lui qui a obtenu, en 1912, le transfert de l’Ungava, riche territoire en ressources naturelles, à la province de Québec. Mais saviez-vous que cet ancien premier ministre (1905-1920) possédait des racines soreloises? Lire la suite

L’irrévérencieux révérend Scott et les débuts rocambolesques du protestantisme à Sorel

FreeImages.com/Hans Widmer

FreeImages.com/Hans Widmer

Les premières années du protestantisme à Sorel sont marquées par la présence d’un être particulier : Thomas Charles Heslop Scott (vers 1753-1813). Son biographe, Thomas R. Millman constate même qu’il « n’y a pas grand-chose de certain dans la vie [1]» de son sujet! Dans un autre document d’époque, Scott est qualifié de « personnage turbulent [2]». Il fait son apparition à Sorel en 1777, alors qu’il rejoint son régiment (le 34e), au sein duquel il est aumônier adjoint[3]. Cherchant à s’affirmer comme un leader spirituel, il trouve toutefois plusieurs embûches sur sa route, à commencer par l’animosité que soulève son attitude chez les autorités militaires. Lire la suite

Le scandale McGreevy-Langevin dans le comté de Richelieu (1891)

En février 1891, une campagne électorale fédérale se met en branle à travers le pays. Au cours de celle-ci, les libéraux de Wilfrid Laurier promettent d’abolir la Politique nationale mise en place par les conservateurs de John A. Macdonald, en 1879. Ils veulent donc abolir les tarifs douaniers protectionnistes pour encourager les échanges commerciaux avec les États-Unis[1]. Bien que cet enjeu ne soit pas sans importance dans le comté de Richelieu, c’est un autre dossier qui pimente la campagne locale : le scandale McGreevy-Langevin ou, comme on l’appelait à l’époque, le McGreevisme.

Thomas McGreevy, en juin 1869 (provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3218865)

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Au cours des prochaines semaines…

Ces derniers temps, je n’ai pas le plaisir de pratiquer ma profession comme je le souhaiterais. Pour combler en partie ce besoin, mais surtout pour me les réapproprier, je republierai au cours des prochaines semaines, dans une forme quelque peu retravaillée, mes textes de la défunte rubrique « Histoire Express » du Sorel-Tracy Express.

Cette réappropriation signifie que je les publierai de la longueur que je juge appropriée, avec les illustrations que je souhaiterai et sans négliger la diffusion de mes sources.

En espérant vous faire découvrir d’autres sujets que nos traditionnels et sempiternels objets de curiosité…

 

À lire dans le Sorel-Tracy Express : « Avant le fort Richelieu… »

Le 25 février dernier, le Sorel-Tracy Express publiait, dans sa version papier, mon dernier article pour la chronique « Histoire Express » de la Société historique Pierre-de-Saurel. J’avais pris l’habitude de le signaler sur mon blogue dès que la version électronique était mise en ligne. Mais force est de constater que l’hebdomadaire local a oublié de le faire pour ce texte… Ce qui est un peu regrettable, quand on sait les efforts mis… bénévolement. Qu’à cela ne tienne, je vous l’offre ici. J’en profite tout de même pour remercier le Sorel-Tracy Express de cette aventure! En espérant que cette vitrine a pu contribuer à mieux faire connaître l’histoire de la région de Sorel!

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« Carte geographique de la Nouvelle Franse faictte par le sieur de Champlain Saint Tongois cappitaine ordinaire pur le Roy et la Marine. Faict len 1612 » Source : Bibliothèque et Archives Canada

Comme nous l’avons vu dans une chronique précédente, le premier voyageur à venir dans la région, Jacques Cartier, est bien impressionné par les Cent-Îles, mais il ne démontre aucun intérêt particulier pour cette région, encore moins pour le Richelieu. Samuel de Champlain, quant à lui, a rapidement compris l’importance de ces deux zones dans les relations à établir avec les Amérindiens et pour l’enracinement de l’empire français en Amérique du Nord. Il vient donc à plusieurs reprises et cherche à mieux connaître la vallée richeloise.

Voulant contrôler la traite des fourrures, un marché qui devient alors de plus en plus lucratif, la couronne française constitue un monopole qu’elle accorde à des intérêts commerciaux. C’est dans ce contexte que Samuel de Champlain, futur père de la Nouvelle-France, effectue son premier voyage le long du Richelieu : il accompagne François Gravé, seigneur du Pont, pour représenter Aymar de Chaste, le nouveau titulaire de ce monopole, en Amérique. Champlain fait un constat rapide des richesses que recèlent les îles et le territoire à l’embouchure du Richelieu, le 30 juin 1603, alors qu’il tente avec ses comparses de remonter le Richelieu. Ils doivent toutefois rebrousser chemin à la hauteur de Saint-Ours. En 1609, Champlain y revient à nouveau, pour cette fois explorer l’ensemble de la vallée jusqu’au lac qu’il baptise de son nom.

De lourds conflits couvent alors dans la région du lac Saint-Pierre, étant donné les rivalités amérindiennes. De plus, les Français sont déterminés à assurer la navigabilité sur le fleuve pour leurs alliés autochtones qui, à cette époque, chassent, préparent et transportent la marchandise pour eux.  On s’imagine bien le rôle stratégique que prennent, conséquemment,  les Cent-Îles, lieu par excellence pour organiser des guets-apens et qui permet de contrôler l’entrée d’une rivière que l’on affirme celle des Iroquois. En mai 1603, ces derniers avaient subi une défaite aux mains des Algonquins et de leurs alliés. Six ans plus tard, ils subissent un autre revers au bord du lac Champlain devant leurs rivaux algonquins, hurons et montagnais. Ceux-ci sont d’ailleurs accompagnés par l’explorateur en personne. Le 19 juin 1610, ce dernier, avec ses alliés, livre à nouveau combat aux Iroquois, mais cette fois tout près de l’embouchure de la rivière Richelieu. Le fondateur de Québec se trouvait préalablement sur l’île Saint-Ignace dans le but de faire la traite avec ses alliés, mais aussi dans le but avoué d’« aller à la guerre ». Avant que la traite ne débute, les Amérindiens présents apprennent la présence des Iroquois tout près. Plusieurs d’entre eux et quelques Français, dont leur chef, se lancent à l’assaut de la barricade où l’ennemi s’est cantonné. Les Iroquois essuient alors une troisième défaite, dont deux ont comme toile de fonds la région des Cent-Îles. Ils se retirent alors de la vallée du Saint-Laurent et n’y reviendront vraiment qu’en 1634, malgré une victoire en 1615 et une brève résurgence au cours de la décennie 1620.

De 1610 au début de la décennie 1630, grâce à Champlain et à ses alliances amérindiennes, la vallée du Saint-Laurent est une zone plutôt pacifiée, dédiée aux intérêts de la France, ce qui permet d’établir un lieu de traite sur l’île Saint-Ignace. Jusque-là, cette position stratégique convient pour contrôler l’archipel du lac Saint-Pierre et l’embouchure de la Richelieu, mais les avancées françaises (Trois-Rivières, Montréal) dans la vallée du Saint-Laurent et le retour des Iroquois modifient par la suite l’importance stratégique du confluent richelois-laurentien et des Cent-Îles. Autrement dit, tranquillement, sans nécessairement les planifier en ce sens, les événements finissent par y encourager l’établissement de Français.

À LIRE DANS LE SOREL-TRACY EXPRESS : « L’Ancien et le Nouveau Monde se rencontrent dans les Cent-Îles » – parties I et II

Jacques Cartier, par O.-L. Bonin (1934)

Nous oublions trop souvent que lorsque l’on parle de l’histoire de Sorel, nous parlons d’abord de l’histoire d’un territoire et que celle-ci commence bien avant la construction du fort Richelieu en 1642. Voici donc le récit, en deux parties, de la première rencontre officielle entre des Européens et des Amérindiens dans la région soreloise : « L’Ancien et le Nouveau Monde se rencontrent dans les Cent-Îles » – partie I et partie II. Bonne lecture!

Merci au Sorel-Tracy Express!