L’historien dans la cité

Hollis Hurlbut, président de la Springfield Historical Society.

Mme Corina Bastiani, conseillère du Vieux-Sorel et – à l’époque – présidente de la Commission jeunesse de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), m’invitait à la fin de l’année 2011 à collaborer à un numéro spécial du magazine Urba. Ce dernier était consacré à la Génération Y (vol. 32, no 6). L’idée était d’imaginer l’évolution du monde municipal d’ici l’an 2026. C’est donc avec plaisir que j’ai accepté l’invitation de ma concitoyenne. L’occasion était trop belle pour aborder l’évolution du rôle de l’historien au sein de sa communauté! Et vous, comment imaginez-vous le rôle d’un historien œuvrant en région?

Petite anecdote qui ne changera rien à votre vie : après le fameux été des carrés rouges, j’ai même constaté qu’un certain Léo Bureau-Blouin, avait aussi contribué au même numéro! Comme quoi le monde est vraiment petit…

Lisa Simpson, dans son épique quête pour faire triompher la vérité à propos du fondateur de Springfield.

Lorsque l’on songe aux professionnels de l’histoire ou du patrimoine dans une localité, certains se remémorent cet épisode de la série télévisée Les Simpson[1], où, après avoir découvert le récit véritable du fondateur de Springfield (plutôt qu’être un colon au cœur noble, il était un dangereux pirate) l’intrépide Lisa Simpson cherche à faire la lumière sur les origines réelles du héros local. Après avoir tenté de l’en empêcher pour préserver la légende qu’il a contribué lui-même à faire connaître, le président de la Springfield Historical Society se rallie finalement à sa rivale pour étaler la vérité au public. Par contre, Lisa, une fois devant la foule en liesse, célébrant le 200e anniversaire de la fondation de leur communauté, décide finalement de ne pas révéler les faits pour ne pas briser le sentiment de fierté qui habite, mais surtout anime ses concitoyens.

Une petite fille sur le point de craquer devant la fierté de ses concitoyens.

Ce geste caricature bien l’importance que l’on accorde à la fierté des gens d’appartenir à leur communauté locale ou régionale. Ce sentiment de fierté passe souvent par l’histoire et le patrimoine bâti. Combien de fois a-t-on vu de nouveaux arrivants  affirmer leurs nouvelles racines en parlant de l’histoire de leur terre d’accueil ou des citoyens d’un enracinement plus ancien s’attrister publiquement du sort d’un bâtiment historique, en se demandant si une ancienne figure importante ne serait pas en train de se retourner dans sa tombe.

Par contre, comme le montre l’épisode cité de Les Simpson, ce sentiment de fierté, ce lien d’appartenance, repose quelques fois sur des prémisses bien minces. Comment cela peut-il en être autrement devant la situation de l’histoire en région? En effet, à l’extérieur des villes possédant un milieu universitaire, historiens amateurs, généalogistes amateurs ou passionnés du patrimoine sont souvent seuls à s’intéresser à l’avancement de la connaissance historique dans leur milieu local. Sans rien enlever, ni rejeter l’apport important de ces derniers, eux qui réussissent souvent avec peu de moyens à partager leur passion à leurs concitoyens, les régions du Québec d’ici 2026 devront néanmoins favoriser l’implantation de véritables professionnels de la mémoire collective en leur sein, notamment des historiens.

Il faut bien comprendre qu’un historien, ou même un archiviste[2], n’est pas un artisan de fierté. Bien au contraire! Le résultat de son travail contribue, certes, avec le temps, à en produire, mais un historien ne doit pas y œuvrer de façon directe. Son rôle premier est de transformer l’histoire locale en un vaste chantier de recherche qui ne s’arrête jamais et où l’on ne craint pas de remettre certaines connaissances considérées fondées en question. En conséquence, l’historien dans la Cité est aussi un historien 2.0 : il ne doit pas s’isoler dans une tour d’ivoire, reproche souvent fait envers les historiens universitaires. L’utilisation de tous les moyens à sa disposition est donc une nécessité pour diffuser les fruits de son travail et donner le goût à ses concitoyens de connaître leur histoire… sans avoir peur de ses mauvais côtés que l’on souhaite souvent ne pas voir ou tenter d’y trouver malgré tout un bon côté. En fait, la présence dans la Cité d’un historien possédant une formation universitaire permet aussi de surmonter la crainte de remettre en question certains acquis en lui permettant de faire avancer les principes de la pratique historienne en région. Pour ce faire, la Cité se doit toutefois de le protéger des pressions extérieures pouvant le détourner de sa quête objective.

Certains seraient probablement tentés de croire qu’un récit historique aux teintes grises, plutôt que complètement blanches ou noires, devient nécessairement plus ennuyant. C’est oublié que la recherche de la nuance permet d’avantage d’aller au fond des choses, de scruter un événement sous toutes ses facettes, donc, d’enrichir considérablement plus le corpus de l’histoire locale, auquel viennent s’alimenter citoyens, organismes à but non-lucratif, enseignants, corporations de développement, services municipaux, etc., pour leurs divers projets. En fait, il n’y a pas de meilleure façon de dynamiser l’histoire locale, dont la téléologie ne sera plus de créer de la fierté, mais une meilleure connaissance, utile à tous.

Le Québec des régions de 2026 pourra donc permettre aux Québécois de mieux connaître leur histoire locale, dont on dit actuellement qu’elle n’est pas assez enseignée. De plus, une histoire locale réalisée par ceux qui possèdent la formation appropriée se débarrasse des cloches de verre sous laquelle on la met trop souvent au nom de la fierté. Toute histoire locale possède ses particularités, mais elle s’intègre toujours dans un plus grand tout, où il est nécessaire de la placer par souci d’objectivité et… de découverte! La Cité de 2026 libérée du besoin de sentiment de fierté à l’ancienne n’est pas nécessairement une société constituée de citoyens qui doutent, mais qui tentent plutôt de se poser les bonnes questions, qui ne prend plus rien pour acquis, simplement pour mieux avancer, sans craindre de trébucher.

Avouez que vous ne pensiez jamais que les Simpson pourraient nous en dire autant sur la pratique de l’histoire!


[1] Pour être exact, le 16e épisode de la septième saison, intitulé « Lisa the Iconoclast ».
[2] Le gouvernement québécois a créé en 1990 les services d’archives privées agréés qui permettent, notamment,  à de plus petits milieux, comme Sorel-Tracy avec ses 35 000 habitants, de se doter de professionnels pouvant gérer de façon méthodique et rigoureuse la mémoire collective d’une communauté. (voir http://www.banq.qc.ca/services/archivistique_ged/partenaires/services/index.html, page consultée le 13 novembre 2011).

3 réflexions sur “L’historien dans la cité

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